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Krons

Lus et approuvés N°8

Voici ma dernière moisson récoltée du fond de mon hamac ! Humoristiques, tendres, dramatiques, glaçants, chacun de ces romans m’a embarquée dans son univers …

 

 

le grand n'importe quoi

 

7 juin 2042. Tout commence par une virée dans le trou du cul du monde dans le village de Gourdiflot-le-Bombé, quand Arthur, bien malgré lui, accompagne son amie Framboise à un anniversaire chez son ami (amant ?) Patrick, son prof de culturisme. Taillé comme un sandwich SNCF, Arthur se sent (et est !) ridicule dans sa tenue de Spiderman, car, comme un malheur n’arrive jamais seul, la nouba en question est costumée ! Tout part en vrille, quand Arthur, qui s’emmerde comme un rat mort au milieu des corps bodybuildés se prend une méga murge et vomit sur sa compagne… S’ensuivent moult hurlements et vociférations et le malheureux Arthur se retrouve à la rue (toujours fringué en Spiderman, bien sûr…), poursuivi par une meute de culturistes … Et là… Le délire commence !!! Au même moment, dans le même village, des extra-terrestres atterrissent dans le jardin d’Alain Delon qui était tranquillement en train de se pendre… (Il n’en pouvait plus, le malheureux, de subir les quolibets sur son homonymie, tout comme les membres de son association se prénommant Michaël-Jacques Saône, Marie-Line Monreau…). Arthur se retrouve dans une sorte de faille temporelle, coincé à 20h42… Et à douter de sa santé mentale ! Un coup des petits hommes verts ? Au cours de cette soirée sous le signe du mystère et des embrouilles à gogo, il croisera (dans le désordre) un écrivain de SF maladroit, des piliers de bistrot bourrés, mais philosophes, la maire du village atteinte de nymphomanie chronique… C’est pas tout ! Un couple de collectionneurs de pièces auto, leur fils surdoué persuadé d’avoir été conçu par un membre du cosmos (méga intelligent, donc) et leur fille qui crée de toutes pièces des vestiges archéologiques qui sèment le doute chez les scientifiques… C’est pas encore fini ! Une bigote intégriste, un paysan exterminateur de martiens, et l’auteur de « L’incroyable révélation » qui a découvert ni plus ni moins que l’origine de la vie… Ah ! J’oubliais … Monaco est devenue une principauté islamiste et Madagascar la première puissance mondiale grâce aux poils de Lémuriens (ingrédient principal pour créer une source inépuisable d’énergie)… Entre la soupe aux choux, Mars attacks et un jour sans fin, J.M Erre nous embarque dans son grand n’importe quoi  avec une imagination et un humour délirant ! Cartésiens, passez votre chemin, amateurs de science-fiction déjantée à la mode gourdiflotte, vous allez vous gondoler !!!

Le grand n’importe quoi de J.M. Erre, Buchet-Chastel, 2016 / 19€

 

 

contes ferroviaires

 

Le narrateur de ces 21 truculents récits est un commis voyageur qui n’aime rien tant que de voyager en troisième classe, à bord du « Traîne-savates », tortillard bondé rarement à l’heure, où règne une effervescence perpétuelle. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça piaille, se plaint, se confie dans une joyeuse cacophonie ! On y joue aux cartes (on y triche aussi), on y festoie de trois bouts de pain et d’eau de vie et la roublardise et la mauvaise foi y sont de mise. Notre commis voyageur, pour passer le temps, écoute, observe et note les anecdotes qu’il y entend. C’est à la lecture de ces récits, empreints de culture yiddish à l’humour si caractéristique que Sholem Aleikhem nous convie. Une plongée dans l’univers des juifs d’Europe centrale au début du 20ème siècle qui ne manque pas de charme … Écrits entre 1902 et 1916,  ces petits instantanés bénéficient d’une jolie écriture classique, un peu désuète, mais tellement agréable ! On fête cette année le 150ème anniversaire de la naissance de Sholem Aleikhem dont on a peut-être oublié qu’il fut à l’origine de la célèbre comédie musicale « Le violon sur le toit »… Vous vous souvenez ? Ah ! Si j’étais riche, lalalalala …. Un joli voyage dans le temps à bord du « Traîne-savates », ça ne se boude pas !

Contes ferroviaires ou le traîne-savates de Sholem Aleikhem, Liana Levi, 2016 / 10€

 

 

dans les prairies étoilées

 

Merlin et Prune plaquent leur vie citadine pour acquérir une jolie bâtisse à la campagne. Jolie mais un peu délabrée et légèrement au-dessus de leurs moyens ! Merlin est tout sauf bricoleur mais sa Prune déborde d’idées et d’énergie pour leur aménager un nid douillet à la hauteur de leurs sentiments. Ces deux-là se sont rencontrés sur le tard, la cinquantaine bien sonnée, grâce à un ami commun, Laurent. Pendant que Prune ponce, peint, creuse et décore, Merlin se consacre à son métier d’aquarelliste et dessine des oiseaux pour une encyclopédie. Mais il est aussi et surtout l’auteur d’une BD à succès « Wild Oregon » qui oscille entre western et science fiction, dont le personnage principal, icône de la série, taciturne et misogyne, lui a été inspiré par son ami Laurent à qui il voue une indéfectible amitié. Tout baigne jusqu’à ce que Laurent meure brutalement, laissant Merlin en détresse : il a non seulement perdu un être cher, mais aussi sa muse…De plus, Laurent a laissé une lettre lui demandant de faire mourir son personnage avec panache après lui avoir concocté une belle histoire d’amour, celle qu’il n’a pas pu vivre dans sa vie solitaire…Cruel dilemme pour Merlin … Exaucer le dernier vœu de son ami signifierait carrément arrêter « Wild Oregon » qui n’aurait plus aucun sens sans son personnage fétiche… Marie-Sabine Roger sonde avec justesse les affres de la création, les doutes qui assaillent l’auteur, son besoin de reconnaissance, sa peur bleue de la perte d’inspiration, son éthique et les rapports étroits qu’il entretient avec ses personnages de papier, entre fiction et réalité. Et puis … Quel humour ! Elle seule a le secret de créer des situations et des dialogues qui dérident les zygomatiques de ses heureux lecteurs !!! « Dans les prairies étoilées » nous apporte une fois de plus une jolie moisson de personnages aussi attachants qu’originaux : L’oncle Albert, nonagénaire lettré mal marié à tante Foune, harpie acariâtre et vénale, Lolie et Genaro, généreux , caustiques et lumineux, Bombala le plombier débordé (pléonasme ?), le chat Cirrhose fourbe, caractériel et mauvais comme la gale, le chat Chausson trouillard et pantouflard, et bien sûr nos trois personnages principaux, Laurent, Merlin et Prune…. Tout ce petit monde fait subitement partie de notre famille et on est un peu triste à l’idée de les quitter, les savourant jusqu’à la dernière ligne… Délicieux et sincère, ce roman vous mettra autant la patate que les larmes aux yeux, avec talent et simplicité. Une fois de plus, Merci Marie-Sabine !

Dans les prairies étoilées de Marie-Sabine Roger, Le Rouergue, 2016 / 20€

 

 

Se lever à nouveau de bonne heure

 

Paul O’Rourke est un dentiste réputé et jouit d’une solide réputation au sein de son cabinet florissant. Côté boulot, on peut dire que tout va pour le mieux. Par contre, sa vie privée est un véritable fiasco…Il n’a aucune vie sociale, est réfractaire à toute modernité et passe ses soirées seul à enregistrer et regarder jusqu’à plus d’heure les matchs du Boston Red Sox dont il est ultra fan depuis l’enfance. Une enfance entachée par le suicide de son père … Il a bien eu quelques petites amies, mais à chaque fois qu’il tombait amoureux, c’était également de la famille de sa dulcinée, ce qui posait bien évidemment problème. ! Athée convaincu, voire forcené, ses petites amies étaient issues de familles ultra catholiques où il essayait de s’intégrer, en vain. Et puis, il y a eu Connie, qu’il a épousée. Connie dont tous les membres de la famille sont juifs pratiquants… Encore une fois, Paul s’accroche à eux comme un bigorneau sur son rocher et devient suspect aux yeux de tous car il en fait beaucoup trop à leur goût pour s’intégrer. Leur divorce est inéluctable mais Connie, qu’il a connue quand il l’a embauchée comme secrétaire dans son cabinet, travaille toujours à ses côtés. Un matin, il découvre la création d’un site Internet à son nom, bourré de références bibliques incompréhensibles sur une mystérieuse communauté aujourd’hui disparue : les Ulms… Qui a usurpé l’identité de Paul ? Et qui, en son nom, ouvre des comptes Twitter et Facebook les émaillant de réflexions parfois douteuses sur la religion ? Joshua Ferris nous embarque dans une drôle d’histoire où les questionnements des protagonistes sur l’identité, le sens de la vie, le rapport à soi et aux autres est omniprésent. Des sujets un peu lourds qu’il allège avec un humour grinçant et des personnages secondaires savoureux. Surprenant !

Se lever à nouveau de bonne heure de Joshua Ferris, Lattès, 2015 / 22€

 

 

trésor

 

Dulci vient de mourir. Elle n’avait que trente ans et déjà une belle carrière d’artiste peintre derrière elle. C’est à Cheryl, sa meilleure amie, qu’elle a confié le soin de disperser ses cendres, par moitié en Jamaïque, leur pays natal, et à New-York où elle vivait et où son talent a éclaté au grand jour. Cette histoire commence donc avec la mort de l’héroïne, un peu mystérieuse et fantasque, dont la personnalité va se dévoiler au fur et à mesure des révélations de ses proches qui l’ont passionnément aimée. Car c’est à un roman choral que nous convie la talentueuse Alecia McKenzie, chacun des huit satellites entourant Dulci nous faisant part de leurs souvenirs et de leurs sentiments auprès de la défunte, dessinant par petites touches le portrait d’une femme libre qui dévorait la vie à pleines dents. Tout en effectuant ce douloureux travail de deuil, chacun d’entre eux va découvrir une vérité sur sa propre existence, déterrant des secrets bien enfouis…. Et c’est formidablement bien ficelé ! Alecia McKenzie entrouvre la boîte de Pandore et les secrets de famille en jaillissent les uns derrière les autres, révélant la complexité des rapports humains … Atmosphère feutrée, vocabulaire choisi comme on peaufine une partition, aucune fausse note discordante pour briser l’harmonie de ce récit intimiste et passionnant où l’on voyage au passage dans la moiteur et les couleurs de la Jamaïque par les descriptions géographiques, culturelles et politiques du pays de Marley et à travers l’œuvre colorée de Dulci, jusqu’à la mégalopole de New-York et ses galeries d’art. Le prix Commonwealth a été décerné en 2012 pour « Trésor » et c’est largement mérité pour ce petit bijou de sensibilité.

Trésor d’Alecia McKenzie, Envolume, 2016 / 16€

 

 

merci bien pour la vie

 

Tout commence en Allemagne de l’est au milieu des années 60. Une femme met au monde un enfant qu’elle ne désire pas, dont elle ne sait même pas qui est le père. Alcoolique au dernier degré, elle se sent incapable de s’occuper et encore moins d’aimer ce petit être qui lui est complètement étranger. Cerise sur le gâteau, l’enfant surnommé Jojo comme on baptiserait un animal de compagnie, est né hermaphrodite…Sa mère l’abandonne dans un orphelinat où il sera haï de tous (Et surtout par un de ses compagnons d’infortune qui le poursuivra d’une haine tenace tout au long de sa vie …). Détesté à cause de sa différence sexuelle, mais aussi pour son comportement : Jojo, malgré les rejets quotidiens qu’il suscite est profondément bon et généreux et doté d’une voix qui tient du miracle lorsqu’il chante… Durant tout le roman ponctué de chapitres tous (ou presque) intitulés « Et ça continue », on suit Jojo, géant au regard doux et bienveillant, de l’Allemagne de l’est à celle de l’ouest jusqu’à Paris, tout au long d’une vie ponctuée de drames qui n’altèrent en rien son altruisme…La bonté à l’état pur dérange dans notre monde déshumanisé. Elle est souvent perçue comme un handicap, une faiblesse, rarement comme un don de la nature … Sibylle Berg signe d’une écriture tranchante un roman où la désespérance et la colère se dessinent en filigrane, elle explore, fouille toute une époque, passée ou présente jusqu’à imaginer un futur où le vivre ensemble ne tient plus qu’à un fil de plus en plus ténu… Pessimiste et noir comme un tableau de Soulages, bref, magnifique…

Merci bien pour la vie de Sibylle Berg, Actes Sud, 2015 / 23€

 

 

ombres innocentes

 

Iréne Jansac est retrouvée par son fils Nicolas, pendue à un croc de boucher dans sa grange sur le plateau de l’Aubrac. La vieille dame était plutôt du genre acariâtre et grenouille de bénitier… Marcel Chauffour est retrouvé errant sur une route de Corrèze. Il a visiblement été tabassé mais affirme avoir fait une chute dans ses escaliers. C’est un vrai sale type, alcoolique et violent, connu des services de police … Dans une clinique psychiatrique près de Clermont-Ferrand, Lucie est internée depuis des années. Bourrée de cachetons, elle n’a pas l’autorisation de quitter sa chambre et seule, Héléna Roussillon, une aide-soignante, semble se préoccuper d’elle … Interpellé par un fait divers paru dans « La Montagne », un ancien commissaire d’Ussel, désormais à la retraite, Elie Sarrabé, va mener officieusement l’enquête concernant Chauffour dont il a croisé la route trente ans plus tôt dans des circonstances qui l’avaient profondément marqué …Y-a-t-il un lien entre ces trois affaires ? Guillaume Audru entretient un suspense qui tient en haleine jusqu’au dénouement de ce polar qui retrace le scandale de l’affaire connue sous le nom des enfants de la Creuse. 1630 enfants  issus de l’île de la Réunion, entre 1963 et 1982 avaient été « déportés » dans des familles rurales de Creuse, du Tarn ou de la Lozère, servant de main d’œuvre gratuite à des gens peu scrupuleux. Beaucoup d’entre eux ont subi des violences sexuelles en plus d’être traités en esclaves … « Les ombres innocentes » remet en lumière cette sombre histoire, même si les personnages de ce roman sont purement fictifs. Un intéressant travail de mémoire réalisé par cet auteur qui, même si son style n’est pas irréprochable, a le sens de l’intrigue et du rythme.

Les ombres innocentes de Guillaume Audru, Éditions du Caïman, 2015 / 13€

 

 

 

 

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