© Laurent Geneix
Interviews

Bertrand Belin au Printemps de Bourges

Si Bertrand Belin rigolait de chanter dans le salon d’honneur de l’hôtel de ville, sous les ors de la République, à quelques pas de la cathédrale – la double protection de l’Eglise et de l’Etat ! – il faut bien avouer que c’est dans un silence quasi religieux qu’il a fait une heure et demi de concert. Une vraie performance pour ce chanteur à la voix rare, dont on ne sait de quel vécu, de quelles émotions il va en chercher le timbre qui enveloppe et jamais ne défaille, doublé d’un guitariste d’une haute technicité. Chaque chanson de Bertrand Belin est une nouvelle, un roman initiatique, un instant poétique de grâce. Bertrand Belin est grave, profond, mais aussi extrêmement drôle. En plus, il est (très) beau, donc passer ce moment avec lui sur une pelouse chauffée par le soleil fut un de mes temps forts du Printemps.

Tu ressens cette communion pendant tes concerts ?

En tout cas, je n’ai pas eu de gourmette ! Mais j’ai bien vu qu’il y avait dans le visage des gens des dispositions de bonté.

Tu as chanté beaucoup de chansons de ton nouvel album. Ce qui m’a frappée, ce sont des textes plus minimalistes, souvent moins foisonnants que sur Hyper nuit, par exemple. C’est un parti-pris ?

C’est vrai, c’est comme si quelque chose avait un peu fondu. J’ai besoin de dire moins de mots dans mes chansons. Il est arrivé qu’il y ait beaucoup de mots, mais ce n’était jamais des mots très compliqués. Là ils sont simples et il y en a peu, donc ça donne une impression de clarté, peut-être de naïveté. Après, ça dépend comment on dit les mots, après quoi ils sont posés, dans quel méandre musical ils interviennent : je reste toujours très attentif au rapport des mots et de la musique. Certains mots sont très simples, presqu’enfantins, mais ils ouvrent autant de perspectives que s’il y avait beaucoup d’ouvrage. C’est peut-être une poésie moins voyante, mais c’est volontaire, je cherche à faire moins clinquant.

Ce n’était pas clinquant, mais pas forcément facile d’accès…

Il y a toujours ça, mais ça se place un peu différemment. Un chanson comme « Plonge », il y a de l’eau, va-t-il ou ne va-t-il pas y aller, c’est très simple, mais il ne s’agit pas d’une chanson sur un plongeur, ce n’est pas une chanson sur les maillots de bain, c’est une chanson qui ouvre des perspectives plutôt philosophiques, que l’on n’est pas obligés d’aller découvrir. Même avec des mots simples, il y a toujours en souterrain dans mes chansons les choses qui m’ont toujours préoccupé.

Lesquelles ?

Les choses très classiques de la poésie ou de la littérature : la fuite du temps, l’amitié, les grands rapports humains : la vengeance, la fraternité, l’abnégation… Après, il faut que ça transperce à la surface. Et il y a aussi une grande confiance dans les oreilles de mes auditeurs, qui ne sont pas absents au moment de parachever l’écriture. Ils savent que ce que je viens de dire n’est pas ce que je viens de dire, alors si on va chercher, on trouve.

J’ai lu quelque part que tu voulais t’harmoniser au monde : ça veut dire quoi ?

Rien de plus que de prendre acte de sa situation éphémère sur terre. Prendre acte et en tirer un maximum de joies, même si ce n’est pas une joie pétaradante. Ne pas se sentir exclu. Par exemple, dans nos sociétés occidentales contemporaines, on a un rapport belliqueux avec la nature, un rapport de force, pas les brins d’herbe, la nature climatique, la nature des continents, la nature rocheuse, on est de plus en plus empêtrés dans des interfaces avec le monde, que ce soit le commerce, s’alimenter, se vêtir, se loger. Il y a plein d’intermédiaires, il n’y a plus ce contact direct avec la mère nourricière. On a un rapport belliqueux, de crispation, de trahison, avec la source. Même si c’est très difficile de vivre avec une certaine cohérence sur ces questions-là. Et bien au-delà de l’aspect écologique, ces questions sont du domaine du philosophique. Je ne suis pas radical, et loin d’être harmonisé sur ces questions, j’essaie juste de ne pas prêter le flanc à la marche du monde qui veut rentabiliser tout et n’importe quoi. D’ailleurs mes chansons ont un style narratif plutôt décroissant qui ne va pas dans le sens du rentable.

Tes envies d’écriture ?

Je commence à m’avouer un peu que j’ai envie d’écrire. Sur la forme, je ne me sens pas vraiment capable de porter au long cours une écriture romanesque. Un récit heurté se métamorphosant en séquences poétiques, en prose hallucinée, une chose hors des normes, c’est probablement vers ça que ça pourrait aller, certainement pour pallier un manque d’acuité à produire un roman, qui demande une pensée au long cours, et je ne suis pas armé pour ça. Ce serait du domaine de la luxuriance et de la fantaisie, quelque chose d’assez kamikaze.

Une mise en danger littéraire ?

Je ne sais pas trop ce que ça veut dire, j’ai davantage l’impression qu’aujourd’hui une mise en danger littéraire est une mise en danger médiatique. Ecrire est toujours un peu un dialogue avec le monde, c’est ça qui m’intéresse, au fond peu importe la forme…

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