EX_MACHINA
de Alex Garland (Domnhnall Gleeson, Alicia Vikander, Oscar Isaac)
Si j’étais d’humeur narquoise, je pourrai dire que l’intelligence artificielle au cinéma, c’est toutes les semaines tant les oeuvres faussement malignes sont assez monnaie courante.
Mais vu que je suis sérieux, je dirai donc que se tenter une nouvelle approche de ce sujet propre à la science-fiction, est courageux, comme toute volonté d’apporter quelque choses de neuf.
En effet, car après, notamment, les visions métaphysiques différentes de Kubrick (« 2001, L’ODYSSÉE DE L’ESPACE ») et de Mamoru Oshii (« GHOST IN THE SHELL »), celle plus « enfantine » et grave de Spielberg (« A.I. ») ou celles, plus récentes, de Wally Pfister (le raté « TRANSCENDENCE ») et de Spike Jonze (le magnifique « HER »), on se demandait bien ce qu’Alex Garland, romancier à succès et scénariste prolifique, aller pouvoir apporter comme pierre à l’édifice.
Programmateur dans une firme informatique mondialement connue, Caleb gagne un concours pour passer sept jours avec Nathan, le PDG de l’entreprise, dans un endroit reculé dans les montagnes. Là, au coeur d’une splendide maison, son patron lui propose de participer à une expérience fascinante : interagir avec Ava, une intelligence artificielle révolutionnaire ayant adopté un corps de femme…
Prix du jury lors de la 22ème édition du festival fantastique de Gérardmer, « EX_MACHINA » est une petite merveille.
Pourtant, rien qu’aux noms des protagonistes, on pouvait légitimement craindre quelques rapports lourdement retranscrits avec la Bible.
Il n’en est rien.
Garland joue au contraire avec intelligence et brio de ces codes, évitant toute symbolique trop appuyée, fait preuve de réalisme et parvint à créer une ambiance anxiogène qui sert les différents propos ici : droit à disposer de soi-même, jusqu’où la science est-elle un bienfait, l’aliénation mentale…
Nathan, personnifiant le créateur, incarné par le toujours plaisant Oscar Isaac, est le démiurge manipulateur, impitoyable et malheureux, qui au fond, voudrait que sa créature le dépasse.
Caleb (Domnhall Gleeson remarqué dans l’épatant « FRANK » de Lenny Abrahamson) est, lui, l’idéaliste de service et amoureux transi tant à la fois de son boss que du robot avec qui il doit converser.
Enfin, Ava, pièce centrale de ce drame shakespearien, interprétée par la charmante suédoise Alicia Vikander (« ROYAL AFFAIR »), éprise de liberté, s’avèrera plus performante que prévu.
Doté d’une réalisation au cordeau, d’un sens du cadrage étourdissant, d’effets spéciaux confondants, d’une musique pénétrante et baigné d’une lumière froide, presque crépusculaire, ce début à la réalisation d’Alex Garland (d)étonne.
Un solide bâtisseur que voilà.
FIN DE PARTIE
de Sharon Maymon et Tal Granit (Ze’ev Revahn, Levana Finkelstein, Aliza Rozen)
Cette géniale pochade douce-amère sur cinq pensionnaires d’une maison de retraite ne supportant plus d’observer leur proche souffrir et décidant d’utiliser une « machine pour mourir en paix », inventée par l’un deux, n’est hélas pas distribuée dans beaucoup de salles.
C’est une honte.
Alors pour y remédier, prenez d’assaut votre complexe cinématographique et exigez-le.
Vous ne serez pas déçu.
MANGLEHORN
de David Gordon Green (Al Pacino, Holly Hunter, Chris Messina)
David Gordon Green a une carrière inégale passionnante.
Alternant des longs métrages intimistes (« L’AUTRE RIVE ») avec d’autres, aux moyens plus conséquents (« VOTRE MAJESTÉ »), il a depuis quelques temps opté pour un versant plus indépendant, quittant les majors hollywoodiennes.
Il n’a de cesse d’explorer des destins d’américains brisés par les aléas de la vie.
En 2013, c’est « PRINCE OF TEXAS » sur deux ouvriers de construction de routes dans les années 80.
En 2014, ce fut « JOE » avec un saisissant Nicolas Cage en ancien bagnard cherchant la rédemption.
Maintenant, c’est « MANGLEHORN ».
Résidant dans une petite ville, AJ Manglehorn fût un coach de base-ball fameux dans le coin.
Dorénavant serrurier, il ne s’est jamais remis de la perte de Clara, l’amour de sa vie. Quotidiennement, il vaque à ses occupations, s’isolant et ne trouvant du réconfort qu’auprès de son chat…
Tout en étant continuellement sur la corde raide, à un millimètre du cliché voire de la niaiserie, Gordon Green livre un drame bouleversant en parvenant, sous une apparente banalité de situations, sans artifice, à toucher en plein coeur.
Chaque phrase dite par Al Pacino (impérial et cela faisait longtemps), chaque regard, chaque geste à priori anodin, sont lourd de sens.
Rarement le poids du passé et les regrets accumulés au cours d’une existence n’ont été ainsi traduits avec une telle force alors que le calme règne en maître tout le long.
Magistral.
LA PORTE D’ANNA
de Patrick Dumont et François Hébrard
Tourné au Centre Hospitalier Interdépartemental Fondation Vallée à Gentilly, dans le Val de Marne, de 2010 à 2013, « LA PORTE D’ANNA » y suit le quotidien des jeunes du pavillon Anna, internat thérapeutique comprenant deux groupes de 8 jeunes de 12 à 16 ans….
Le duo Patrick Dumont et François Hébrard, influencé par Raymond Depardon et « L’ENFANT SAUVAGE » de François Truffaut, dresse un état des lieux sensible et émouvant sur un problème un peu occulté par les médias.
Immergé durant trois ans dans un des plus grands hôpitaux pédopsychiatriques de France, ils en ont tiré un documentaire s’avérant un modèle en soi, immersif parmi des enfants en mal de reconnaissance, turbulents, parfois violents mais au grand coeur, créatifs à leur manière.
Une aventure humaine dont il est difficile de s’extirper.
Pour preuve, l’un des deux auteurs y retourne régulièrement.
Pour lui, c’est essentiel.
Comme ce doc.
QUI C’EST LES PLUS FORTS ?
de Charlotte de Turckheim (Alice Pol, Audrey Lamy, Bruno Sanches)
Ancienne videuse de poulet dans une usine de Saint-Etienne qui a fermé ses portes, Sam peine à retrouver du boulot. Elle s’occupe de sa jeune soeur, atteinte de trouble du comportement et, pour en conserver la garde, doit impérativement décrocher un job. Cohabitant avec Céline, une ex-collègue qui gagne sa vie en faisant du téléphone rose, elle se voit offrir un matin une proposition pour le moins inattendue pouvant la tirer d’affaire…
En adaptant une pièce de théâtre, de Turckheim poursuit vainement son sillon de comédie « sociales » pas drôles (« LES ARISTOS », « MINCE ALORS ! ») avec présentement je, cite, vouloir « parler de choses graves avec frivolité, et de frivolités gravement ».
C’est sur qu’avec une Alice Pol (« SUPERCONDRIAQUE ») en vedette, pas terrible (fallait-il s’attendre à autre chose ?), une Audrey Lamy peu inspirée, Bruno Sanches, échappé un temps de CATHERINE ET LILIANE, mauvais (l’effet Canal, nos humoristes sont tous des cadors, si, si), des gags poussifs, l’objectif est clairement atteint.
Même l’handicapé sensoriel de service ne nous est pas épargnés, afin d’émouvoir.
Le comble étant les péripéties de l’histoire, d’un grotesque échevelé, culminant avec une séquence de don de spermes sur l’Avé Maria (!).
Bref, une Charlotte aux fraises.
Le DVD de la semaine : « 2 SALOPARDS EN ENFER »
de Tonino Ricci / ARTUS FILMS
Après la SF, le giallo (thriller avec assassin masqué et meurtre à l’arme blanche), le western, le péplum, il ne manquait pratiquement plus que le film de guerre à l’éditeur ARTUS FILMS pour faire un tour à peu près complet du 7e art populaire transalpin.
C’est maintenant chose faite avec la parution de 2 titres dans des copies parfaites, avec bonus dispensable où l’habituel Curd Rigel, une fois encore ne fait qu’égrener des filmos sans jamais contextualiser :
– D’une part, « 5 POUR L’ENFER » de Frank Kramer (alias Gianfranco Parolini).
– Et de l’autre, « 2 SALOPARDS EN ENFER ».
Si le premier, du à un grand nom cher aux amateurs de bis européen (« HERCULE SE DÉCHAÎNE », « LE COMMISSAIRE X TRAQUE LES CHIENS VERTS », « SABATA ») s’avère divertissant et bien rythmé, opposant Gianni Garko (star avec son personnage de « SARTANA », pistolero infaillible, et ses dérivés) à Klaus Kinski, endossant la défroque d’un colonel SS, le second est tout simplement un incontournable du genre.
Suite au succès des « 12 SALOPARDS » de Robert d’Aldrich, l’Italie, toujours aussi prompte, produisit, à partir de 1967, plusieurs séries B guerrières centrées sur des commandos composés de soldats plus ou moins réguliers, lors de la seconde guerre mondiale, chargés de dangereuses missions, souvent fatales.
Citons par exemple les formidables « TÊTE DE PONT POUR HUIT IMPLACABLES » d’Alfonso Brescia en 68 et, l’année suivante, « SUR ORDRES DU FÜHRER » de Enzo G.Castellari. Ce même Castellari récidivera, d’ailleurs, plus tardivement avec le tout aussi réussi « UNE POIGNÉE DE SALOPARDS », qui inspira fortement le « INGLOURIOUS BASTERDS » de Tarantino.
« 2 SALOPARDS EN ENFER », signé par Tonino Ricci, datant de 1969, est un cas à part.
Italie, 1941. Condamnés à mort à la suite d’exactions commises alors qu’ils portaient l’uniforme, les soldats américains Haskins (Klaus Kinski, de nouveau) et Grayson (Ray Saunders, comédien de couleur issu des États-Unis qui travaillait à cette période en Europe) sont amenés sur les lieux de leur exécution par le lieutenant Sheppard (George Hilton), fraichement sorti de l’école militaire. Soudain un escadron allemand fait irruption au moment même où le peloton allait tirer. Seuls rescapés de la terrible bataille qui s’en est suivie, nos deux meurtriers, en compagnie de l’officier, choqué par la violence à laquelle il vient d’assister, vont tenter de survivre…
Mélange de cruauté (certaines images hantent longtemps comme cette scène d’ouverture où Kinski commet un crime) et de romantisme (la partie dans le village), ce joyau impressionne par l’évolution psychologique des caractères et les brusques rupture de ton.
Ricci, artisan à qui l’on ne doit pas d’impérissables travaux, tout au plus une poignée de sympathiques parodies à la Bud Spencer/Terence Hill et des aventures à la Jack London, signe un must en la matière, du niveau de « QUAND LES AIGLES ATTAQUENT » avec Clint Eastwood.
Attention, les mitraillettes vont crépiter…