© Ewen Chardronnet
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6mn25 de légèreté

Salut Ewen, pour commencer, peux-tu nous parler de ton projet autour des Planits et nous décrire rapidement le principe du vol en apesanteur ?

Je m’intéresse aux textes visionnaires de Malévitch depuis très longtemps, notamment depuis le livre que j’ai publié en 2001, « Quitter la gravité », qui rassemblait des textes de l’Association des Astronautes Autonomes. C’est un mouvement foutraque qui a émergé à la fin des années 90 en faisant oeuvre d’art dans l’émancipation et dans la fuite et en réclamant l’espace pour tous. L’AAA se veut d’avant-garde post-communiste et millénariste, mélangeant faits et fiction dans une science-fiction du présent. Donc à l’époque, lorsque j’ai travaillé sur le livre, j’avais noté que Malévitch avait écrit vers 1920, lorsqu’il fut nommé à l’école d’art de Vitebsk et qu’il créa l’atelier « Ounovis », de nombreux textes où il imaginait des « planits », des architectures hors gravité. Des textes qui fondaient le mouvement « suprématiste » dont il était l’initiateur. Le projet proposé au CNES cette année est un hommage à l’Ounovis, au moment où le Suprématisme fête ses cent ans. En ce qui concerne le vol lui-même, il s’agit de vols paraboliques dans un Airbus A 300 qui recrée les conditions de l’apesanteur en effectuant une parabole dans l’air. L’avion monte en flèche et nous sommes cloués au sol à 2G pendant une quarantaine de secondes… puis il se cabre et parvient à un état d’apesanteur d’environ 25 secondes… puis ilreplonge. Je comptais filmer une sculpture « planit » d’inspiration Malévitch en apesanteur et en 3D, mais cela n’a pas été possible compte tenu du contexte du vol. Mais ce n’est que partie remise. Enfin j’espère.

Du coup on peut expérimenter différents types d’apesanteur ?

Dans le vol Air Zéro G, nous avons expérimenté une parabole martienne, de 0,38 G, et deux paraboles lunaires de 0,16 G. Ces paraboles-là étaient vraiment drôles, on avait l’impression de marcher sur la Lune. Nous avons ensuite effectué douze paraboles de zéro G.

Ta première expérience en 2003 était différente ?

Très différente en ce qui concerne le contexte. En 2003, j’avais été sélectionné pour une campagne pour artistes à la Cité des Étoiles en Russie. Les artistes embarqués avaient pu expérimenter tout un tas de trucs délirants. Et puis c’était aussi un voyage dans le saint des saints de la Guerre Froide… Cette fois-ci nous étions dans un vol touristique, beaucoup plus guidés dans les activités. Mais ce qui n’était pas différent était cette sensation fabuleuse de l’apesanteur…

Et tes collègues de vol ? À un moment donné tu m’avais parlé d’un certaine « décadence »… tu crois que les riches se font chier même hors gravité ?

Il y avait bien sûr des gens capables de se payer le vol tout à fait honorables. J’ai notamment beaucoup aimé rencontrer la doyenne du groupe, une dame suisse de 67 ans qui se payait son plaisir de retraitée et en était également à son deuxième vol. Elle avait beaucoup d’humour. L’aspect décadent venait pour moi de me retrouver avec des personnes qui ont acheté leurs billets à 300 000 euros pour les vols Virgin Galactic et Space Ship One qui auront lieu à la fin de l’année. Parmi eux il y avait Ahu Aysal, une des personnes les plus riches de Turquie, propriétaire d’une chaîne d’hôtels du Bosphore, ex-femme de Unal Aysal, président du club de foot Galatasaray. Elle m’avait tout l’air d’être adepte de la chirurgie esthétique et des cabines à UV et était suivie par de nombreuses caméras, mais cela ne l’a pas empêchée d’être malade pendant le voyage… Spectaculaire !

J’ai vu l’image des sacs de vomi sur ton FB, et je me demande… c’était exclusivement de la gerbe de milliardaire ?

Ah ! Cette histoire du vomi, c’est une question que posent beaucoup les gens : vous vomissez en apesanteur ? En réalité, les gens vomissent dans les périodes entre deux paraboles, c’est le choc des pirouettes et du changement de gravité qui perturbe l’oreille interne… Mais oui, près de la moitié des personnes ont vomi, et là il n’y a pas de privilégiés… En ce qui me concerne je n’ai pas vomi.

Et allez, pour finir, la question que tout le monde attend : le sexe en apesanteur… d’après ton expérience, ça peut ressembler à quoi ? Crois-tu que c’est vraiment praticable ?

Eh oui, c’est quelque chose qui fait bien fantasmer… Je me dis qu’en apesanteur il faut certainement de bons équipements de bondage, cordes, élastiques, systèmes de traction, pour profiter au maximum des potentialités de la flottaison libre. Il faudrait demander aux vrais cosmonautes comment ils ont vécu leurs relations sexuelles. Sur le sujet, je vous renvoie au vrai-faux rapport de la NASA publié dans le livre de l’AAA à propos duquel cette dernière avait été contrainte de publier un démenti et de parler de cette circulaire sur le sexe dans l’espace comme d’un document bidon. Le rapport envisageait différentes positions et suggérait à tous les astronautes désireux d’avoir des relations sexuelles dans l’espace d’amener une ceinture élastique avec eux pour faciliter des mouvements plus dynamiques. Ce rapport, qui nous avait fait bien rire à l’époque, avait pour but de tourner en dérision le puritanisme d’agences spatiales ayant pour critères de jugement les « relations conjugales normales ». L’AAA pense que les possibilités du sexe comme pur plaisir, comme expression de l’affection ou comme échange d’énergie, du sexe comme communication, exploration et méditation, s’accroîtront en gravité zéro. Elle appelle à la création d’ « espaces de jeu érotique » hors gravité, sans discrimination de genre et qui se concentrent bien plus sur l’ambiance des actes sexuels. Pour prolonger cela, l’AAA avait lancé la XXX Prize Foundation, en contrepoint ironique au X Prize qui souhaitait justement stimuler la construction d’astronefs privés. La XXX Prize Foundation récompensera le premier groupe d’intérêt privé à lancer un vaisseau en espace sub-orbital et à s’engager dans une relation sexuelle une fois là-haut. Cet acte sexuel peut prendre n’importe quelle forme et impliquer n’importe quel nombre d’individus, mais un document visuel devra être fourni pour prouver que la relation sexuelle a bien eu lieu dans un environnement d’apesanteur.

*Ewen Chardronnet est un auteur, artiste et commissaire d’exposition indépendant, actuellement directeur artistique du festival Accès(s) à Pau. Il a participé à de nombreuses initiatives artistiques (musique, performances, films, fanzines, installations, résidences, production, expositions collectives) et est intervenu comme essayiste dans de nombreuses publications. Il a reçu en 2003 le Prix Leonardo Nouveaux Horizons pour ses contributions aux initiatives Acoustic Space Lab et Makrolab et travaille régulièrement avec le World-Information Institute (Vienne, Autriche). Il est membre honoraire du comité de pilotage du Ksevt, le centre culturel des technologies spatiales européennes (Vitanje, Slovénie).

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