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Krons

Lus et approuvés N°6

Nouvelle série de chroniques ! Vous voulez du croustillant ? du poétique, du rétro, du social, du politique ou même du policier ? Y en a ! Régalez-vous !

 

fausse route

 

Le narrateur, routier, fait la navette entre sud et nord et nord et sud au volant de son camion chargé de légumes. Son équipier, Édouard, est un personnage un peu taciturne, joueur invétéré qui ne rate pas l’occasion de se castagner lorsqu’elle se présente, quand il ne la provoque pas… Cet univers très masculin va être sérieusement troublé quand Françoise entrera  dans la cabine du camion et dans leur vie…  Entre road movie et roman noir réaliste dans le plus pur style des années d’après-guerre, cet unique roman de Gaston Didier, alias Pierre Mérindol, est une véritable photographie de cette époque révolue où fleurissaient les petits bistrots un peu crasse, les ouvriers cassant la croûte avec leur ballon de blanc et les mauvais garçons un peu marlous dans les quartiers « pittoresques » , chantonnant les grisettes et autres romances. Au fil de la lecture, les images défilent, on entend presque le mécanisme du projecteur et les craquements de la pellicule. On y est dans cette cabine de camion un peu déglingué, on les sent les poireaux chargés à l’arrière et on les voit les platanes défiler à la lueur des phares ! Un roman qui a une gueule d’atmosphère !

Fausse route de Pierre Mérindol, Le Dilettante, 2016 / 15€

 

 

beau rivage

 

Tous les samedis soirs, à l’hôtel restaurant « Au Beau Rivage », Antoine, le patron, fait guincher ses clients au son de l’accordéon. Mais les temps changent, et les danseurs désertent le bal musette au profit d’orchestres modernes plus « électrisés »… La guinguette a fermé ses volets ! Antoine, morose, devient de plus en plus grincheux, et quand Pineau, le voisin, amène un 33 tours de musique classique, il pète un câble en même temps que la tronche du mélomane ! Celui-ci portant plainte auprès de la maréchaussée, notre Antoine se retrouve en cabane pour deux longs mois … Mais loin de déprimer, il savoure, dans sa carrée, le plaisir d’être enfin seul et, en morse et par tuyaux interposés, va devenir pote avec un autre taulard, Émile. Tous deux vont partager  un luxe infini : ils vont rêver …Une fois de retour au « Beau Rivage », Antoine est métamorphosé et inquiète son entourage qui ne le reconnaît plus… Jusqu’au jour où Émile débarque dans la petite pension en bord de Seine et va chambouler tout autour de lui… Fallet avait un don inné pour créer des personnages aussi rocambolesques que truculents. Dans ce roman, il ne déroge pas à sa marque de fabrique ! Vous n’êtes pas prêts d’oublier« Pédalo » le maquereau fan de cyclisme ou bien  « Martinique », buveur de rhum devant l’éternel et amant de la plantureuse Georgette, femme de l’agent de la paix, et néanmoins cocu, « Barberine »…Vous craquerez pour  « 6. 4. 2 » gagnant à la loterie nationale et pêcheur à la ligne en quête de Victor le monstrueux et mythique brochet, Graal  convoité par tous les autres amateurs d’halieutique… « Au Beau Rivage » déborde de gouaille, d’argot et de langage fleuri et c’est garanti, vous promet un fameux moment de bonne humeur et de lecture de haute volée ! On plonge avec délices et  tête la première dans l’univers de René Fallet avec l’envie de re-dévorer ses autres livres, tellement c’est bon…

Au beau rivage de René Fallet, Denoël, 2016 / 13€

 

 

ville en mai

 

Frédéric et Dominique s’aimaient d’amour fou, peut-être trop, sans doute mal, car malgré leur fille Sophie, alors âgée de huit ans, Frédéric fuit cette passion dévastatrice et prend le large vers l’Afrique… Dix années passent. Le jour où il reçoit un message affolé de Dominique lui annonçant que leur fille a disparu, Frédéric sait que la situation est grave car ils ne se sont jamais reparlé depuis leur rupture… Il rentre précipitamment à Nice. On est en mai 68 et ça chauffe aussi dans le sud … Quand il découvre que Sophie est impliquée politiquement et très engagée dans le mouvement étudiant, il décide de mener l’enquête aidé par deux potes flics… Patrick Raynal, avec « une ville en mai » ne signe pas un banal polar, même si ce roman ne manque ni de souffle ni de suspense. L’originalité de ce roman noir vient du fait que Raynal, connu pour ses convictions gauchistes, se place de l’autre côté de la barrière en créant ce personnage un peu réac, rangé sous la bannière de l’ordre établi et qu’il fait se dérouler l’action à Nice où il fut étudiant en 68. A cette époque Jacques Médecin « tenait » la mairie d’une main de fer et l’ambiance était plutôt du genre mafieuse… Raynal retrace brillamment ce climat avec sa classe légendaire. Captivant !

Une ville en mai de Patrick Raynal, L’Archipel, 2016 / 18€

 

 

noir en ville

 

Pas un hasard si les romans de Marie-Sabine Roger finissent par être adaptés au cinéma (Au moins deux à ma connaissance) car son écriture se prête à merveille pour le 7ème art…  elle a l’œil cette femme pour débusquer le meilleur de nous-mêmes et pour voir le verre à moitié plein ! Ce recueil de nouvelles ne faillit pas à cette règle d’or car une fois de plus, tout simplement et avec la générosité qui la caractérise, elle nous enchante et met de la couleur dans un quotidien parfois bien sombre. Humoristiques, émouvantes, parfois graves, quel que soit leur sujet, ces dix nouvelles dégagent un optimisme contagieux qui vous met la banane et du baume au cœur. J’adore !

Il ne fait jamais noir en ville de Marie-Sabine Roger, Actes Sud, 2016 / 6,50€

 

 

Et vous trouvez ça drôle

 

Il allait paisiblement boire un pot et très certainement fomenter un mauvais coup avec sa bande de bras cassés, quand John Dortmunder est pris à partie par Johnny Eppick, ancien  flic désormais à la retraite … Bon, étant rangé des voitures, le bonhomme paraît inoffensif ! Oui, mais … Consciencieusement, Eppick a gardé une poire pour la soif : une série de photos bien compromettantes où l’on voit clairement John jouer les monte-en-l’air…Il lui met donc un marché en mains : récupérer dans la salle des coffres d’une banque ultra sécurisée un jeu d’échecs d’une valeur inestimable qu’un vieillard riche à millions veut à tout prix récupérer (question d’honneur, ce jeu lui a été dérobé dans sa jeunesse) ou alors, c’est simple ! Un coup de fil à ses ex collègues et direction la prison ! Dortmunder n’a donc pas trop le choix s’il tient à sa liberté : il doit se coller à cette affaire quasi irréalisable…Ce roman inédit de Donald Westlake est le quinzième où apparaît le cambrioleur poissard et ses potes dont la devise sans haine ni violence ne porte pas particulièrement chance vu qu’ils sont les rois des coups foireux. Cet épisode (hélas, avant-dernier puisque Westlake est décédé en 2008…) ne faillit pas à la règle d’or de cet auteur de polars qui ne ressemblent à rien d’autre … On rit de la première à la dernière page des déboires  de ces antihéros qui ne manquent jamais au passage de nous épater : Intrigue bien ficelée, personnages atypiques, final flamboyant, si la recette est appliquée à la lettre, on ne se lasse toujours pas de la déguster avec avidité et gourmandise ! Il n’y a plus qu’à se jeter sur le dernier roman traduit et paru cet hiver « J’ai déjà donné » (également chez Payot/Rivages) et relire l’œuvre prolifique d’un auteur d’une originalité irremplaçable …Ah ! Quand vous aurez tout dévoré… Sachez que Westlake a également écrit sous plusieurs pseudonymes dont le plus connu est Richard Stark…

Et vous trouvez ça drôle ? de Donald Westlake, Payot Rivages, 2015 / 8,50€

 

 

échoués

 

Virgil vient de Moldavie. Assan et sa fille Iman de Somalie. Chanchal, lui, du Bangladesh. Leur point commun : tous les quatre ont fui leur pays, la misère et la violence. Pas par choix, justement car il ne leur en restait aucun, question de survie. Dans des conditions extrêmes, en risquant leur vie à chaque moment, ils ont tous les quatre échoué en région parisienne où leurs conditions d’existence s’avèrent, une fois de plus un véritable parcours du combattant… Vivre caché dans la peur de se faire voler le peu qu’ils ont, peur des contrôles policiers qui les ramèneraient tout droit à leur point de départ… Se faire exploiter pire que des esclaves en travaillant comme des forçats… Vivre dehors, sans toit… Et affronter parfois la haine, souvent les regards méprisants…Virgil et ses trois compagnons de misère vont adoucir tant bien que mal leur calvaire en se serrant les coudes, cette solidarité sans failles les aidera à surmonter bien des obstacles. Et puis, il y aura aussi des rencontres lumineuses, avec des « justes », de vrais êtres humains qui vont leur tendre la main. Mais quel bouquin… Quelle force dans l’écriture … On ne ressort pas indemne de la lecture des échoués… les mots de Manoukian ont un tel pouvoir évocateur qu’on navigue entre colère, larmes et honte de cautionner le sort de ces pauvres gens dans le meilleur des cas dans un silence frileux… Manoukian nous offre des images, parfois insoutenables, un regard lucide et acéré, un constant âpre et amer, mais aussi des lueurs d’humanité dans ce premier roman exceptionnel à tous points de vue. Il faudrait obliger ceux qui prêtent aux migrants la volonté de venir en Europe pour se la couler douce avec des allocations de tous poils à lire de la première à la dernière ligne ce roman, histoire de leur laver le cerveau des idées reçues malsaines qui les encombrent et d’enfin ouvrir les yeux …

Les échoués de Pascal Manoukian, Don Quichotte, 2015 / 18,90€

 

 

voyageurs aube

 

Cette maison un peu délabrée en plein désert, sa lanterne allumée comme un phare dans la nuit, c’est le refuge tant espéré des voyageurs en attente du passage de la caravane… Dans cette masure, un vieil homme, Nathan, se meurt. C’est le « veilleur » du désert, dernier d’une lignée d’hommes qui se sont transmis le flambeau depuis la nuit des temps. Arrivent des voyageurs, princes ou mendiants, peu importe, tous ravagés par de terribles destins … Zahra, jeune femme enceinte, ancienne prostituée ne connait que la rage et l’amertume… Hilarion a fui par les chemins l’immense chagrin dû à la perte de son unique amour…Sa vie n’est emplie que de violence et de haine, tout comme Kabir l’aveugle …. Ces deux-là ont soif de vengeance et leurs destins sont liés … Mais il y a aussi Adour, le doux, le rêveur, joueur de luth à la recherche du son parfait…Et Madjid, qui recueillera le dernier soupir et les secrets de Nathan, son amour pur et chaste pour Fahima alors qu’il n’a même jamais croisé son regard ….Madjid qui deviendra le nouveau « veilleur »,  et perpétuera l’amour de Nathan pour Fahima…Pendant neuf jours et neuf nuits, chacun va se raconter, vider son âme de toutes ses rancœurs et guérir de ses blessures …Et peut-être que la caravane, une fois venue, repartira sans eux, enfin apaisés…Digne d’un conte des mille et une nuit « les voyageurs de l’aube » nous transporte comme sur un tapis volant vers la sagesse de l’Orient… En le lisant, on peut entendre la voix de Gougaud nous murmurer ses mots empreints de poésie, d’espoir et d’humanité…Allez, prenez place près du figuier, autour d’un feu d’herbes sèches, l’âne est tout près du puits… Laissez-vous bercer par le vent du désert et par la voix de ce conteur extraordinaire… Superbe et magique !

Les voyageurs de l’aube d’Henri Gougaud, Albin Michel, 2015 / 19,50€

 

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